La mémoire

La mémoire

Elle est de toute éternité, ne concerne pas uniquement les temps anciens, car la mémoire est un centre énergétique, un disque gravé de sillons émotionnels que l’homme transporte de vie en vie. La mémoire immédiate, du présent, de l’instant, appartient au cercle extérieur. Plus on va vers le centre, plus on quitte les orbites d’ordres primaires du présent (Où ai-je mis mes lunettes ? Quel jour sommes-nous ?) et plus on s’enfonce dans une obscurité, dont on ne reconnaît pas toujours la logique et l’organisation pourtant très précises. Elle est le disque de notre âme, pas un disque dur, un disque qui joue avec d’autres la symphonie musicale de l’histoire, celle de la mémoire collective, de la mémoire vive de l’univers, de toutes les paroles prononcées, de tous les actes, pensées et idées enregistrés.

La mémoire n’est pas un miroir fidèle ou infidèle, mais un trou noir (comme ceux que l’on trouve dans l’univers). Elle a la capacité, à nos dépens parfois, de nous absorber, mais aussi d’attirer à elle tout ce qui lui est donné. Le problème n’est pas de perdre la mémoire, ne dit-on pas «avoir un trou de mémoire», mais de choisir un sillon, sa zone de lecture, de savoir où poser le diamant de sa tête de lecture sur le disque.

La mémoire est vivante, elle se nourrit de ce qu’on lui donne, peut devenir sélective, prend vite des habitudes. Elle apprécie les bons aliments, les données qualitatives qui s’inscrivent souvent plus durablement en elle. Mais elle obéit cependant à celui qui la nourrit, à l’homme qui la grave. Lorsque la mémoire du présent s’efface, c’est fréquemment le signe que la vie s’efface, que l’empreinte du dessein n’est plus le sujet premier. La mémoire a besoin qu’on la nourrisse, mais aussi qu’on entretienne ses rouages, qu’on la cadre. Moins on la suscite, plus elle hiberne, s’ankylose, devient paresseuse, se laisse berner et l’oubli, son frère ennemi, a vite fait de récupérer le territoire en jachère.

La mémoire n’est pas une clé USB extérieure, elle est un programme intérieur qui permet de rester en veille. Elle n’est pas constituée que de sous-venirs, mais aussi des à-venirs, d’où l’importance de ne pas la laisser aux mains d’autres ou à des machines, de rester vigilant. Elle ne se mesure pas en capacité, n’a pas de limite, est aussi vaste que l’espace et se manifeste en chaque cellule, atome. Tout est mémoire dès lors qu’il y a information multidimensionnelle, pluripotentielle, polymorphique. La mémoire ne s’inscrit pas dans les lignes du temps, mais dans la dynamique des ondulations du vide. Elle ne demeure pas dans un lieu, elle est l’outil qui permet à l’information de transparaître, un fil d’Ariane pour ne pas se perdre dans le labyrinthe de l’espace et avancer dans la spirale du temps, une sorte de cordon ombilical de l’âme entre les mondes

Boussole
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