Toucher pour ne pas couler. Frôler, ne pas retenir mais s’entretenir. Toucher le cœur pour resserrer les liens et ne faire qu’un, comme les cinq doigts de la main. Établir le contact, la connexion. Le toucher, prise en main à fleur de peau des premiers pores de l’autre. Connaître et se reconnaître, sans mots et sans images. Version sourde et iconoclaste des temps premiers et de l’apprentissage. Tissage de la reconnaissance animale et animée de l’homme.
Interdire le toucher. Le dire dangereux, c’est couper les racines du lien, les liens primitifs des hommes. Voir pour croire, toucher pour sentir. L’empreinte digitale, reconnaissance, transmission de l’un à l’autre, de l’autre à l’un, sans interfaces. Des anciennes routes tracées au bout des doigts comme les chants de la terre. Une voix pure et directe venue du cerveau limbique, de l’hippocampe. La main et ses empreintes distinguent l’homme, le particularise. Le toucher est un instrument qui joue de ses cordes sensibles et sa partition résonne dans les plus profonds et anciens labyrinthes du cœur. «Être touché» indique que ce sens donne accès à une zone sensible que d’autres sens ne peuvent atteindre aussi directement.
Outil de reconnaissance dans le sens noble du terme, que les machines n’associent qu’à un matricule identitaire, alors que la gamme et les octaves sont bien plus subtiles. En retirant à l’homme cette sensation, on le dépossède de l’une des cordes de son arc, de l’une de ses facultés de repère. On retire un point cardinal à sa boussole. Si la vue et l’ouïe sont jumelles, le goût et l’odorat jumeaux, le toucher, lui, est solitaire. Une canne pour l’homme, un guide en sa paume.
Toucher c’est marquer le point de contact sur la ligne du moi, de l’instant et de l’instinct. Ne plus pouvoir toucher, c’est ne plus respirer l’autre, ne plus digitaliser sa mémoire sur les choses et les êtres, c’est se dissoudre sans prise dans une nébuleuse hors du temps de l’espace. Toucher c’est le langage animal des hommes dans ses instincts les plus doux et les plus violents, les plus hauts, les plus bas. Proscrire le toucher est un isolement forcé, une camisole, un pas supplémentaire pour l’homme dans la virtualisation de son existence. Peut-on vivre sans toucher et être touché, et ainsi tendre vers une probable amnésie des contours de soi et de l’autre ? Des gestes barrières pour ne pas sortir des frontières, ne serait-ce pas aussi grave de conséquences que d’interdire à l’homme le sommeil et ses promesses ?
« Peut-on vivre sans toucher et être touché, et ainsi tendre vers une probable amnésie des contours de soi et de l’autre ? Des gestes barrières pour ne pas sortir des frontières, ne serait-ce pas aussi grave de conséquences que d’interdire à l’homme le sommeil et ses promesses ?
Tu mets là en lumière, un point essentiel des rapports humains à mon sens. Cette interdiction actuelle, qui dure déjà depuis des mois, me semble d’une gravité extrême. Plus grave à mes yeux que le Covid – qui n’est jamais qu’une maladie nouvelle, certes, mais qui comme toutes les maladies passera. On l’oubliera, mais pas les conséquences humaines que les décisions politiques prises pendant cette période auront engendrées. Bien plus graves que la maladie elle-même. Un grand nombre de gens que je croyais équilibrés perdent l’envie de vivre.
En ce sens, oui, c’est une maladie mortelle.