1909-1943 Philosophe, humaniste.

1909-1943

«Pacifiques dans l’altérité»

Simone Weil

Qu’avez-vous à dire au monde d’aujourd’hui ?

Il me semble bien loin le temps où je me passionnais pour la condition humaine. Le groupe, les groupes, les regroupements ne me semblent pas de même nature. L’individu a poussé, ou tiré, le chariot de son destin dans un sentier très personnel. Je sens l’homme perdu dans sa quête, dans le sens de sa quête. L’homme sait-il encore ce qu’il cherche, ce qu’il recherche, où pose-t-il les valeurs de son bonheur personnel et de la nature de son identité? Il me semble qu’aujourd’hui j’écrirais sur la diversité, la biodiversité de la nature humaine, c’est là que se trouve la richesse. La qualité de celle-ci et du discours pourrait alors mettre un terme à l’adversité, l’autre perçu comme un adversaire, peu importe le terrain et le champ d’action.

Vous parliez de charité, aujourd’hui il serait question de solidarité…

Dans solidaire, j’entends amalgame. Je n’ai jamais cru en l’amalgame. Solidaire et solitaire, de faux ou de vrais amis ? Si vous trouvez le mot charité désuet et qu’il fallait en trouver un autre, ce ne serait pas solidaire, car selon moi ce dernier manque de cœur et d’esprit.

Alors lequel ?

Quelque chose qui parle de l’ouverture du cœur, d’un sens qui n’est pas de l’empathie, mais lié à la sagesse et à la générosité. Le terme de fraternité me semble juste et trop délaissé. Une famille est riche de par sa diversité.

Où en sommes-nous de notre fraternité ?

Le chacun pour soi, le quant-à-soi ont été le moteur, la monnaie, alors qu’il est question d’échange, de partage. Chacun a fixé une valeur à son étalon-or personnel, il ne s’agit pas de faire monnaie commune, mais de connaître la valeur de chacun au sein des valeurs communes.

Vous avez été qualifiée d’anarchiste chrétienne. Comment, aujourd’hui, manifester  le «pacifisme  intransigeant» dont vous parliez ?

Par un retour aux valeurs fondamentales, c’est-à-dire à la vérité de chacun, intransigeant envers qui on est et ce que l’on fait, pacifique dans l’altérité. Ce qui est exactement l’inverse à l’heure actuelle. La rigueur personnelle a disparu au profit d’une attente extérieure, d’une exigence envers l’autre. Définir d’abord ses bases et le rapport à soi et fixer ses propres règles, obéir à ses propres injonctions.

Comment associer la pensée à l’action ?

La pensée puis l’action, qui n’en est que l’aboutissement. Il semble que cela soit l’inverse en ce moment. Si la pensée s’est élaborée, a trouvé sa parole, le goût de sa source, l’action n’en sera que plus belle. Pour cela il est nécessaire de se donner le temps de la réflexion. De la parole au geste et pas du geste à la parole. L’action juste est le résultat de la pensée vraie -quand je dis vrai cela ne vaut pas par opposition au faux-, d’une pensée sensée, celle qui naît de tous les sens.

Qu’est-ce qu’accomplir sa vocation ? 

C’est entendre sa voix ; celle qui souffle à l’oreille des pensées. Dans les temps à venir, le mot métier n’occupera plus la même place, ou tout au moins chacun aura la nécessité de trouver et d’agir au nom de sa vocation, sans échelles de valeurs sociales ou idéologiques. Trouver sa vérité, être à l’écoute des paroles de sa vocation permet de la réaliser. Une vocation parle pour elle-même, sait toujours se faire entendre et trouver sa juste place.

Que pourriez-vous nous dire de plus de la nature christique que vous évoquiez ?

Elle est inhérente à chacun. On ne la trouve pas dans la religion, le dogme et les traditions, mais dans le cœur qui bat la mesure du temps. On l’a mise en sommeil et je me suis efforcée de la manifester dans ma courte vie. Elle demeure après la mort et est si naturelle là où je suis maintenant. Il ne fait pas bon de parler de la nature christique, mais le christ n’est pas un personnage, c’est un homme fait homme. Comme vous tous, le prolongement, la branche manifestée de la nature même de l’âme. L’âme est sans crainte, l’élan de l’âme n’est pas le don de soi, mais l’interaction au sein de la nature christique de chacun. C’est aussi ce qu’il reste quand tout a disparu.

Mais encore …

Le tumulte m’effraie. Il est capital aujourd’hui de manifester cet élan vers l’autre, de tisser les liens qui vous unissent, de considérer l’harmonie de l’humanité pour qu’enfin l’altérité remplace dignement l’adversité,  que la générosité ne se gêne plus.
Brouiller les cartes, les redistribuer, refaire les règles du jeu, la partie qui s’est jouée depuis plusieurs siècles est terminée. Qu’est-ce qu’avoir du cœur ? Ce n’est pas un jeu dans lequel il n’y aurait pas de pique, de carreaux ni de trèfle. Avoir du cœur c’est céder à l’allant de sa nature profonde et qu’il entre en ligne de compte. Croyez-moi lorsque l’on a senti cet élan, l’élan de son cœur qui parle et agit sans filtre, sans calcul, ni stratégie, on n’aspire plus qu’a lui laisser la parole… tout est alors si simple et si vrai que l’on n’a plus envie de parler d’autre langue que la sienne

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