1854-1891 Poète indiscipliné. Ivre de liberté.

1854-1891

«S’autoproclamer, voilà la devise pour l’homme actuel»

Arthur Rimbaud

Quels messages avez-vous à transmettre ? (entretien de janvier 2019)

Ma plume a beaucoup voltigé, a surfé sur les vagues, sur les rides de la vie. Je l’aurais aimée plus légère, me sentir libre sans doute de la laisser naviguer plus longtemps pour prendre le vent et ses aises. Les mots accrochent l’air et son agilité, la subtilité de ses élans. Les mots ne doivent pas dans leurs filets retenir les papillons. L’envol de la respiration comme unique maîtresse…

Aussi mes pensées s’ordonnèrent comme par magie, alors que mes actes dictés par ma volonté ne prirent racine que dans le chaos. L’agilité des nuages dans le reflet des lacs statiques.

Ma vie a été cette dichotomie, cette asymétrie mal vécue, ce déséquilibre qui m’a fait vaciller de l’un à l’autre. De l’agilité des vapeurs de l’esprit, aux aléas de la chronologie et de la géographie. Je me suis bousculé pour tenter d’accorder en moi même ces indissociables. J’ai cherché le responsable, alors que j’aurais mieux fait de n’attendre que les réponses aux questions que je me posais.

«L’homme aux semelles de vent»…

En ces termes réside exactement ma difficulté d’être. Comment m’arracher à la terre et trouver mon territoire, dessiner la carte de mes envies. Je n’étais pas de la race des croyants, mais de celle des voyants !

Est-ce à dire ?

La vision qui crée. Le pouvoir créatif du voyage guidé par les sens autres que celui du toucher. Dessiner les transports à mesure que l’on écrit. Comme l’araignée tisse sa toile de sa bave, j’ai tissé mes mondes et mes transports, ma géographie onirique. Tous les paysages à mesure que je les dessinais, les invitais devrais-je plutôt dire, se dévoilaient devant moi. Comme si ma plume était la baguette magique de mes aspirations. Comme un chien en chemin, grisé par le chemin lui-même sans savoir ce qu’il trouvera au bout de sa route. Les transports étaient les miens, ce n’était pas pour en faire commerce.

Que pensez-vous de notre monde actuel ?

Internet est une forme de transport au gré du vent aussi. Mais les fils constitutifs de la toile sont-ils nobles dans leur matière ? J’entends par nobles, saints et entiers, pas diversifs ni discursifs. En fait, la discussion ne m’a jamais vraiment intéressé. Le constat de ce que j’entrevoyais suffisait à mon émerveillement, comme si j’étais à la fois acteur et spectateur de mes paysages.

Et Voyelles1 ?

Un symbolisme. Je n’aime pas les mécanismes, les règles et les préceptes. Mais le voile du langage possède ses couleurs. Ses émotions, dans le chatoiement de ses subtilités. Comme des notes de musique sont des instruments pour jouer la gamme, je désirais simplement coucher les miennes, ma palette sur ma page. Peut-être pour qu’elle incite d’autres à profiter des nuances de la langue. Ma seule agilité, je la sentais dans ma prouesse à jouer avec les mots comme le surfeur sur la vague, le poisson dans l’onde et l’oiseau dans les airs. Naviguer avec ma plume telle une voile pour prendre les vents, libre de ma direction.

Vous avez navigué vers l’Afrique ?

J’aime la poésie du Coran, la subtilité des échelles du texte et l’envol, la hauteur qu’il vous invite à prendre. Pas les dogmes qui s’y rattachent… je l’ai déjà dit : Obédience, Repentance, Sentence, tous ces mots en «ence» ne sont que violence et me font peur.

La liberté de l’envol… Aujourd’hui, quelle est-elle pour vous ?

Évidement libéré de la matière2, comment entendre l’écho des mots de ma propre voix ? Où je suis, les mots ne résonnent pas, ne sont pas audibles, là n’est plus le vocabulaire. La magie de cette musique, les jeux de l’intellect me manquent. Ici la baguette magique est autre. La poésie des sphères ? Une musique douce qui berce et ne me pousse pas au travail.

Qu’aimeriez-vous dire à ceux qui écrivent ?

Profitez de vos élans, des mots qui dépassent l’entendement, de ceux qui s’élèvent au-delà des sphères. Le pouvoir de la musique des mots qui s’autoproclament. «S’autoproclamer», voilà la devise pour l’homme actuel. J’entends par s’autoproclamer ce que l’on perçoit en soi, pas pour résonner au monde, mais pour faire entendre sa raison d’être. Celle qui vous prend par les ailes de votre esprit.

Parlez-moi de la création… (entretien du 22 juin 2020)

Principe de la cause à l’effet. La création est un voyage dont on n’a pas fixé la destination, aussi c’est la nature des transports qui prime et la curiosité du paysage environnant. Créer c’est prendre sa boîte à outils, ceux que l’on a sous la main, pour construire seul à seul les éléments constitutifs de son rêve de voyage. On ne crée pas dans le but de, mais pour être au service de sa cause. C’est le point de départ, celui d’origine. Tout est dans la mise en chemin, le principe actif, l’élan de l’allant, celui que vous nommez la motivation, le besoin. Il est nécessaire de susciter le besoin, quel qu’il soit. C’est lui la graine de la plante à venir.

Besoin ou désir ?

Pour moi besoin. La création est une nécessité pas un ornement. Elle procède d’une urgence pas d’un passe-temps. Elle s’inscrit dans le phrasé du temps qui défile, est active. La poésie n’est pas une contemplation mais une action. La création n’est pas offerte à ceux qui ont le temps, mais est pour ceux qui le prenne (le temps) à bras-le-corps, pour lui cracher à la face ce qu’ils veulent lui montrer et auraient aimé l’entendre dire. La création est un manifeste, une manifestation, cela veut dire se donner la parole, prendre sa parole.

 S’autoproclamer…

Oui, faire entendre sa clameur dans le brouhaha du monde. Cela demande une création originale. Beaucoup s’écoutent parler, là il s’agit de faire surgir sa parole. Au début était le Verbe, pas la parole. Le Verbe créateur c’est l’étincelle. Créer c’est jouer de son instrument, s’être instruit en compositeur pas en interprète. Il faut cesser d’interpréter et donner de soi. Une mise en danger bien sûr. La création est inconfortable, elle tourmente, remue, mais est le trésor du vivant. C’est elle qui fait sortir de son cercueil, de l’utérus et des chemins de la lignée. La création est une voix pour s’auto-nomiser, soit se nommer et donc se faire exister. Elle est la trace d’un passage, un aveu, un testament à plus grand que soi, une obligation, tout autant que l’explication de ce pour quoi nous sommes sur terre. Sortir de la récréation pour retourner à la création

  1. Voyelles sonnet composé vers 1871 et publié en 1883.
  2. Comprendre «je ne suis plus dans mon corps».

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